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La Main à l’Oreille
14 impasse des Jardins
94230 Cachan
lamainaloreille@gmail.com
Tout ce qu’il était difficile de vivre, tout ce qui marquait mon désarroi, mon inquiétude.
Pourtant, au-delà de la douleur que cela a engendré parfois, je dois admettre que ces moments derrière la caméra, outre qu’ils permettent aujourd’hui de témoigner, m’ont permis d’avoir un autre regard sur mon enfant. Un regard plus fin, plus ouvert… Moins prisonnier de mes émotions maternelles.
Pendant une année entière j’ai filmé Théo. Je l’ai filmé, filmé et filmé encore…
La caméra était toujours dans ma main. C’était, en quelque sorte, devenu mon rituel à moi.
Je le filmais le jour, et faisais des montages le soir et parfois la nuit. L’observant ainsi de trois manières différentes… Avec mon regard de mère, avec mon regard de caméraman, avec mon regard de monteuse…
Au bout de cette année, alors que nous devions finaliser le diagnostic de Théo et que j’étais en train de graver sur un DVD les moments choisis pour la neuropsy j’en ai eu assez.
Assez de ne regarder mon fils que par le prisme de son autisme. Assez de le définir par ses caractéristiques autistiques ! Assez de ce triple regard.
N’étais-je pas finalement en train de faire fausse route ? N’étais-je pas en train d’oublier d’être mère avant tout ? Pourquoi était-ce à moi de faire ce travail ? Pourquoi devais-je subir cette perte supplémentaire, de moments à étudier, et non à vivre ? Pourquoi m’infliger cela ?
Alors j’ai eu une idée.
J’allais extraire, dans les dizaines et dizaines d’heures accumulées, les bons moments de Théo. Ses instants de calme, de sérénité, de poésie, de tendresse aussi… J’allais cesser de chercher l’autiste en lui, mais partir à la recherche de mon enfant.
Je me souviendrai toute ma vie de cette nuit-là, passée à assembler ces instants de vie que j’avais tout d’abord écartés car je ne les avais pas considérés comme importants pour les médecins.
Quelle horreur de l’exprimer ainsi et quel choc de le réaliser ! Car bel et bien, c’est ce que j’étais en train de faire. Voilà ce à quoi j’étais en train de participer !
Oublier mon fils derrière l’autiste, afin de me conformer au regard médical ainsi qu’à sa classification.
Je n’ai eu à rassembler que 2 minutes 30 de vidéo pour traduire toute la beauté de la vie de Théo, mais en vérité j’en avais bien plus en réserve ! Des moments de bonheur que j’avais loupés, trop occupée à chercher ce qui n’allait pas chez lui… trop occupée à n’être qu’un regard diagnostique et non pas seulement… sa mère.
Ces 2 minutes 30, accompagnées de la musique de Pat Metheny, qui est l’un de mes artistes préférés, je les chéris comme aucunes autres.
J’avais appelé ce petit film : « le monde de Théo« , avant que ce titre soit emprunté par mon amie Solène Caron pour l’interview qu’elle a faite de moi. Aussi je l’ai rebaptisé : « calmement, dans le monde de Théo ».
Je l’ai posté sur le Net quelques jours avant que le diagnostic de Théo soit posé, afin de partager cet autre regard sur l’autisme, afin de témoigner de la poésie, de la douceur qu’il peut y avoir au-delà du repli. Afin surtout de ne pas laisser le regard médical prévaloir sur la vie de mon enfant.
* 2ème temps…
Fin avril dernier, lors de la semaine de stage de plongée de Théo, j’ai rencontré Sarah, une jeune éducatrice. Alors que je parlais de notre parcours avec Théo, de mon livre et des projets que j’avais pour lui, Sarah me demande :
– Mais c’était toi ? la vidéo : le monde de Théo ?
J’ai tout d’abord pensé qu’elle parlait de l’interview de Solène Caron, or elle n’est pas encore officiellement diffusée.
Je lui demande de décrire la vidéo, et ça ne fait aucun doute qu’elle parle ce petit film que je chéris tant.
– Mon prof de formation nous l’a passée en cours alors que nous abordions le sujet de l’autisme, il venait de la télécharger sur le Net, me dit-elle ! Nous avons tous été très touchés par cette vidéo et je ne l’ai jamais oubliée.
Je vois la jeune fille émue de réaliser qu’elle est aujourd’hui en face de ce même Théo. Un Théo de 12 ans, sorti de son mutisme et de son renfermement, et qui est en train d’apprendre la plongée sous-marine à ses côtés.
Et moi je suis émue car cette vidéo, c’était pour cela que je l’avais postée sur le Net, pour qu’elle témoigne, pour qu’elle parle en faveur de l’enfant qui vit et ressent à l’intérieur de son silence et de son repli, pour qu’elle témoigne de la richesse de ces vies qui nous obligent à ouvrir notre esprit et notre cœur différemment.
J’ai le sentiment d’avoir réparé mon erreur, d’avoir su non seulement retrouver mon regard de mère, mais aussi d’avoir su l’offrir au monde.
Un grand moment.
Un moment que j’avais envie de partager… Comme j’ai eu envie de partager il y a 9 ans, ces instants précieux de Théo… calmement.
* 1er temps…
En 2006, alors que Théo est en plein diagnostic d’autisme, les médecins me demandent de faire le plus de vidéos possibles afin de les aider à affiner leurs regards sur lui.
J’achète une caméra pour l’occasion et me met à filmer notre vie, sa vie…
Pas si facile, je vous l’avoue, car on ne me demandait pas de filmer les bons moments, comme il est habituel de le faire avec ses enfants ! Mais de filmer ses crises, ses stéréotypies, ses renfermements.