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La Main à l’Oreille
14 impasse des Jardins
94230 Cachan
lamainaloreille@gmail.com
Être parent, c’est d’abord et fondamentalement du bricolage. Un bricolage où l’on fait ce qu’on peut, avec les embrouilles du réel, entre les exigences gloutonnes de la vie professionnelle, les embarras du couple, et un certain idéal social que l’on s’efforce de transmettre à travers la lignée familiale.
Ni co-éducateurs, ni co-thérapeutes, nous, parents, pouvons être co-inventeurs. C’est ainsi que nous serons en mesure de nouer un véritable partenariat avec les éducateurs et les thérapeutes, sans être leurs subordonnés. Les inventions sont des nécessités pour les autistes. Ils ont besoin de nous, parents, pour en accuser réception, pour être leur premier partenaire, le scribe de leurs premières inscriptions.
Mireille Battut
Le dispositif mis en place au C.M.P. pour Thomas était tout simplement idéal. Que quelqu’un « joue » le rôle de Thomas en mimant ses « bizarreries » comportementales a fait en sorte qu’il s’est aperçu de ces bizarreries et les a, à son tour, trouvées « bizarres ». Le fait qu’il ait été pris en charge individuellement a permis qu’il participe entièrement et pleinement. Petit à petit il est passé d’un état passif à un état actif. Il a commencé à faire des réflexions lorsque Madame B. ou Madame G. avait un comportement « bizarre ».
Ce dispositif a fait basculer mon fils d’un état passif, à un état actif et les progrès ont été fulgurants. Le jour où nous sommes sortis d’une séance et que mon fils m’a dit d’un air faussement exaspéré « pffff, elles sont complètement idiotes ces deux-là, c’est plutôt elles qui devraient aller au CMP » j’ai su qu’il avait basculé.
J’ai compris à ce moment qu’il avait intégré le fait que certains comportements pouvaient sembler bizarres. Et il les a vus avec les mêmes yeux que nous. N’est-ce pas la chose la plus extraordinaire qui pouvait se passer ?
Corinne Laurent
Je me rappelle étant enfant, le nombre de fois où j’ai pu imaginer concevoir une machine capable de me faire voir les rêves de ma soeur autiste et, encore mieux : de me faire enfin entendre le son de sa voix. Interloquée, je l’observais rire aux éclats devant le petit écran qui faisait défiler les mésaventures surréalistes et parfois absurdes de la Panthère Rose en dessins animés, cet autre être sans langage, toujours silencieux, solitaire et sans famille, mais si futé, élégante et nonchalante…
Entendre et partager le rire et les petits murmures de ma soeur, avait heureusement toujours été ma fabuleuse consolation. C’est probablement ce minuscule détail sonore qui a su me préserver de ma folie des grandeurs à son égard, et de venir lui dérober à tout prix son espace de silence.
Mariana Alba de Luna
Lucile pense indéniablement en images, (…) à la maison, Lucile dessine, des feuilles partout, tout le temps… et du coup je me suis mise au dessin. Elle parle, plutôt bien même mais quand nous avons des problèmes de compréhension, je prends le stylo et en commentant mes dessins, je reformule mes dires. Et ça marche. A tous les coups, c’est même magique !
Eugénie Bourdeau
Lorsqu’à 3 ans et demi Théo marche avec son papa, il lui tient la main par l’intermédiaire de son lapin. C’est un bon compromis qui permet de garder le contact en respectant son espace.
Valérie Gay-Corajoud
Un tout premier signe que Louis nous a fourni de son monde intérieur, vers l’âge de 10 mois, peu après l’apparition des premiers symptômes, des premiers questionnements, fut une jubilation intense à jouer avec le volant de ma jupe qui lui recouvrait les yeux alors qu’il était étendu sur le tapis aux pieds de son papa. Il jouissait, et cette jubilation avait trouvé le bord de ma jupe pour s’exprimer. Le deuxième signe arriva comme une effraction.
Peu de temps après que je l’aie pensé sourd, Louis délivra à 20 mois son premier concert vocal au beau milieu d’une salle d’attente, révélant un répertoire impressionnant. Le spectacle était saisissant : il chantait avec aplomb, justesse et rythme, une main collée à l’oreille comme le font les muezzins, au point que le brouhaha ambiant sembla s’estomper. Une intense poésie se dégageait de cette scène. Ce jour là, je me sentis toute fière et ragaillardie. Il était musicien ! Que demander de plus ?
Mireille Battut
Mahé invente invente des films issus de son imagination. Il pose la cassette vidéo d’un film dans une boîte en plastique, après l’avoir préalablement enroulée d’un fil. Il y pose dessus le moteur d’un circuit à voiture, il ferme la boîte et la pose dans un petit meuble à côté du duquel il ouvre un livre à la première page, puis il pose une plaque en plastique transparent devant le livre, qui correspond à l’écran. Il invite ensuite son frère à cette singulière projection.
Les deux frères sont tous les deux impatients, pleins d’allégresse à l’idée de regarder ce film dont ils ne savent pas encore de quoi il sera fait ! Alors que le moteur tourne, Mahé tourne les pages régulièrement, une à une jusqu’à la fin du livre. On l’entend par moment dire "Mais c’est pas possible, avance le film, on va pas rester bloquer dans les embouteillages de films"
Alexandre Dauplay
Je me suis toujours sentie interpellée par les silences de ma soeur et sa façon décalée d’être parmi nous. Adossée à la fenêtre, elle aimait, yeux fermés, sentir les vibrations des voitures passer au loin ou, assise dans le jardin, regarder par terre les minuscules êtres au bouger incessant, vaquer à leurs occupations silencieuses.
Mariana Alba de Luna
J'habite à Saint-Pétersbourg, en Russie. Mon fils est autiste, il a 8 ans. Il est très communicatif maintenant, mais toujours autiste. Le psychanalyste de Miron a créé un groupe d’enfants autistes basé sur cette approche. C’est un atelier d’art pour plusieurs enfants, pour montrer comment
fonctionne, et c'est un projet de départ du centre que nous prévoyons de créer plus tard. Je présente maintenant une exposition de dessins d’enfants autistes. Il ouvre début janvier.
Notre objectif est de montrer les talents de jeunes autistes, de faire une présentation de notre association et de faire connaître aux gens l'approche subjective.
Julia Ermakova
L’ordinateur a fait beaucoup de bien à Théo sur sa capacité d’attention et son apprentissage, car il s’en trouve dépourvu de rapport affectif. À 3 ans et demi, il sait déjà installer un jeu, le désinstaller, chercher des nouveautés sur le Net.Il comprend presque instantanément les consignes. C’est stupéfiant.
Valérie Gay-Corajoud
Mon frère Enzo a découvert la photographie à l’âge de 5ans, grâce à une éducatrice d’un I.M.E. La découverte de cette passion lui a été vraiment bénéfique, car il a pu, à travers les photos qu’il faisait, apprendre à parler et à associer des mots aux objets. La photo lui permet également de canaliser son énergie, et ainsi de limiter au maximum ses crises. À travers les clichés d’Enzo, nous découvrons un univers passionnant, son univers, totalement différent du nôtre et qui ne demande qu’à être extériorisé aux yeux de tous..
Johana Scott
Lucile accorde (…) beaucoup d’intérêt aux films mais elle n’aime pas la télé car elle ne peut maîtriser ce qui va suivre ou revenir sur quelque-chose qui lui a plu.”
Eugénie Bourdeau
Il n’a pas été facile pour moi de comprendre ou d’accepter ce qui arrivait à ma soeur et pourquoi elle était si différente des autres. Me battre, pour que les autres respectent ses peurs, quand ils s’approchaient trop d’elle, cassant et menaçant son besoin d’espace d’avoir un territoire limité et faire mon possible pour que l’on accepte sa différence, avait été très tôt une position décidée de ma part. Position prise avec la conviction que c’était une des choses que je pouvais faire pour ne pas la laisser seule, ni par ailleurs la laisser s’enfermer dans son autisme.
Mariana Alba de Luna
Lorsque nous attendions avec Mahé dans la salle d’attente d’un ITEP, il y avait écris : »Sarah absente ». Mahé a lu « savoir attendre ». J’ai trouvé que cela avait beaucoup de sens, vu le contexte.
Alexandra Dauplay
L’éducation, ça n’est pas de la rééducation : nous ne considérons pas la personne autiste comme une « machine détraquée » qu’il faudrait « sortir de son autisme » en la stimulant en permanence. Cette injonction est épuisante et destructrice.
Françoise Rollux
Georges m’appelle depuis son lit où il tente de faire la sieste. Il me dit, en considérant les nombreuses peluches et autres doudous qui l’entourent ; « Maman, ça ne va pas ! Mes petits amis, ils ne parlent pas ! ». Je m’entends alors lui rétorquer : « Ca ne t’empêche pas de leur parler. Regarde, Louis ne parle pas, mais pourtant, il te répond . Georges a bien observé les rituels de jeu de toilette qui donnent satisfaction à Louis, et il réclame parfois les mêmes.
Il joue aussi à faire le fantôme sous un drap, comme Louis. On peut saisir la nuance des moments où il cherche à éprouver quelque chose de l’univers de Louis, à travers une de ses activités.
Georges n’a pas son pareil pour savoir ce que veut son frère. Il dit souvent, en observant les préparatifs de ballade, ou de repas « Louis sera content ».
Mireille Battut
Je déplore que malgré nos efforts pour que notre fils puisse « être lui-même dans sa différence », la société toute entière s’oriente vers un dressage collectif où être soi devient de plus en plus compliqué. Cette dictature comportementale et d’efficacité est sournoise mais bien présente dans le quotidien vécu par les parents.
Alexandra Dauplay
Lorsque Martín était petit, j’avais toujours dans mon sac un petit carnet et un crayon à papier. Quand nous rentrions dans un lieu dans lequel Martín ne semblait pas être à l’aise, je sortais le petit carnet et notre enfant se tranquillisait en dessinant. Dessiner pour lui, a toujours été comme une valve d’échappement, une façon de pouvoir faire avec son corps.
Aujourd’hui, lorsque Martín vient par exemple me montrer le portrait que d’un seul trait il a fait de son amie Eva avec ses grands yeux carrés bleus, je découvre qu’il a réussi à capter le regard de cette petite fille. De même, quand il dessine son copain Samuel entouré de flammes, avec des piques recouvrant tout son corps, en train de lancer un super ballon de basket ball, vous pouvez vous faire une idée très précise de Samuel.
Cristina Laborda
Lucile est « hors champ » quoiqu’il arrive, hors champ de la société, hors champ de la normalité. Tout ce qu’elle entreprend est fait de façon très singulière, atypique et parfois déroutante pour nous. Elle reçoit, donne, ressent et espère comme tout le monde, sauf que son code n’est pas le même que la majorité des gens, elle a difficilement accès au notre et nous ne parvenons pas encore à interpréter le sien. Mais tout ceci n’est qu’une question de codes et de conventions et j’avoue apprécier de vivre aux côtés d’une personne capable d’ébranler chaque jour cette superficielle stabilité.
Je suis moi-même un peu en marge de la pensée commune car je ne désire pas faire de Lucile une personne différente de ce qu’elle est au fond d’elle. J’aspire à lui inculquer quelques notions essentielles pour devenir une « adulte libre » mais surtout heureuse.
Eugénie Bourdeau
Ma soeur autiste a toujours été entourée de gens extraordinaires qui ont su l’aider à progresser. Ces petites institutions étaient souvent des institutions privées créées à l’initiative des parents. Ma sœur n’a jamais parlé, parce que c’est ainsi, et peut-être parce qu’elle n’a jamais voulu laisser résonner sa voix. Mais elle a pu devenir une femme un peu plus autonome et moins envahie par ses peurs. Aucune méthode coercitive n’est venue la forcer à quoi que ce soit, ni l’obliger à céder son précieux ballon en espérant le récupérer en échange des quelques comportements “adaptés”.
Mariana Alba de Luna
Depuis qu’il est tout petit, Théo aime « tripoter » tout ce qu’il touche. Il détourne tous les objets qu’il a à sa portée afin de les tripoter, ce qui semble avoir un effet apaisant sur lui. La plupart du temps, Théo accompagne ces tripotages d’un chant, d’un son, d’un fond sonore qui contribue à renforcer cette bulle dans laquelle il s’isole et qui l’enveloppe. Une bulle qu’il n’hésite pas à franchir pour me demander, à l’occasion, de lui gonfler un ballon.
Valérie Gay-Corajoud
Quand Louis porte ses mains aux oreilles, ce n’est pas pour les boucher. Si l’on veut se boucher les oreilles, on presse dessus avec ses paumes. Louis place ses pouces sous les lobes et les remonte vers le pavillon. Il garde ainsi les paumes de ses mains libres pour orienter soit vers l’intérieur, pour s’entendre lui-même, comme le font les chanteurs, soit vers l’extérieur, ce qui lui permet une attention directionnelle et ciblée.
Mireille Battut
C’est lors d’un stage que j’ai rencontré dans un service de pédopsychiatrie un enfant dit « autiste » et surtout dit « sauvage », que j’ai pu entrer en relation avec l’humanité et la sensibilité de cet enfant de trois ans. En fait, cet enfant avait juste besoin d’un environnement rassurant et protecteur facilitant l’émergence de sa « manière d’être » et de sa créativité.
Je pense également qu’il existe une richesse des mondes autistiques, et c’est à nous de les écouter.
Je ne fais qu’observer la manière dont l’enfant se sert du jouet ou jeu, sa façon singulière et originale de faire avec les objets-jouets, et l’originalité de leurs propres créations.
Christiane Chianéa
Lorsque Mahé n’obtient pas ce qu’il veut, il s’énerve, il ne supporte pas la frustration, qu’on lui dise non. Concernant les injonctions d’achat, j’essaie de ne pas céder. Il en résulte des inventions de sa part. Ainsi, lui avoir refusé pendant plusieurs mois l’achat de petites voitures du film Cars l’a conduit à les créer lui-même, usant de son agilité avec ses doigts pour dessiner des yeux, des bouches, puis les découper et les coller minutieusement sur ses petites voitures. Il a fait la même chose avec un freesbee très particulier qu’il convoitait depuis longtemps : ne le possédant pas, il s’est mis à le fabriquer avec du papier et l’a colorié de façon minutieuse.
Alexandra Dauplay
À travers les activités artistique que la sœur de Théo met en place pour son frère, mon fils apprend à respecter les consignes, à aller jusqu’au bout de son travail, à rechercher en lui sa propre notion du beau. Il doit aussi dépasser cette terrible épreuve qu’est pour lui la contrainte sous toutes ses formes, à commencer par la contrainte horaire : ne pas faire juste quand il a envie.
Valérie Gay-Corajoud
On m’a proposé à l’hôpital de jour de rencontrer le psychologue. C’était la première fois depuis que Florian était petit, que quelqu’un m’a permis de parler et j’ai trouvé en face de moi une personne qui a reconnu ce que je disais ; parce que, quand on est parent comme ça et qu’on a ce choc qui vous arrive dans la tête, on se dit : « Je suis pas normal, qu’est-ce qui se passe ?
Suite à cela, Florian, nous lui avons proposé un suivi par un psychologue-psychanalyste et je crois que c’est quelque chose qui l’a énormément aidé. Il a suivi ce travail une fois par semaine pendant huit ans. Je l’amenais tous les mardis. Pour lui le mardi était important et je crois que ces rencontres ont été décisives et pour lui et pour moi. En tout cas, elles m’ont permis quant à moi de mettre à distance cette souffrance de parent avec un enfant différent.
Madame X
Ma sœur n’a jamais parlé, parce que c’est ainsi, et peut-être parce qu’elle n’a jamais voulu laisser résonner sa voix. Mais elle a pu devenir une femme un peu plus autonome et moins envahie par ses peurs. Aucune méthode coercitive n’est venue la forcer à quoi que ce soit, ni l’obliger à céder son précieux ballon en espérant le récupérer en échange des quelques comportements “adaptés”.
Mariana Alba de Luna
Bien qu’il nous plaise parfois de nous imaginer importants à ses yeux, il s’avère que nous sommes principalement « utiles » à Théo. Nous sommes la prolongation de ce que ses mains ne savent pas faire. Nous sommes ceux qui le sauvent de ses peurs profondes, de ses débordements.
Lorsque tout va bien, lorsqu’il est installé dans sa bulle comme dans un nid confortable, alors nous ne servons à rien et parfois même, nous gênons. Si par mégarde, nous interférons dans le déroulement de sa réalité, alors nous sommes les méchants, ceux qu’il faut remettre à leur place, hors de son passage.
Valérie Gay-Corajoud
L’écriture de Louis s’inscrit dans l’espace, qu’il parcourt joyeusement en courant en tous sens, décrivant différents tracés, lignes d’erre, transversales légèrement courbes, tours serrés ou plus lâches autour d’un point, lignes brisées et brusques changements sous l’emprise d’une inspiration nouvelle, bras levés, mains tendues vers le ciel, agitant un tambourin imaginaire. Chanson de geste. Litturaterre. Véritable proto-écriture, que d’aucuns qualifient d’hyperactivité. La délicatesse et la gaucherie mêlées qui émanent de sa personne le rendent profondément attachant.
Mireille Battut
La soeur d’une enfant autiste que je reçois en institution en tant que psychologue clinicienne, m’a posé il y a peu cette renversante question : "Pourquoi moi, je parle et pas lui ? Comment fait-on pour parler ?" – Et bien, c’est un choix qu’un jour on fait. Il faut avoir le grand courage de se décider à parler. Mais il y a des enfants qui parfois, comme ton petit frère, ont besoin de plus de temps pour se décider. Il y en a d’autres qui ne peuvent pas le faire. C’est ainsi, mais il faut, sans les abandonner, savoir leur laisser le temps. A cela elle m’a répondu : "Alors moi quand j’étais petite, j’ai décidé de parler." Depuis ce jour, elle a cessé de venir en consultation pour vouloir être la traductrice de sa mère qui ne parle pas français.
Mariana Alba de Luna
À la fin d’une séance le pédopsychiatre psychanalyste de Mahé me restitue un poème de son invention :
« Le ciel est bleu parce que la nuit est éteinte ».
Alexandre Dauplay
À travers le temps et les discussions qu’on a pu avoir ensemble, j’ai pu m’apercevoir à quel point tout le monde, au sein de la Demi-Lune, était important pour nous parents, mais aussi pour Allan mon fils. Allan progresse à travers tous les ateliers qu’on lui propose et en même temps, il garde sa liberté d’esprit à travers le fait qu’il adore les animaux, dont les poissons, les escargots, les vers de terre et ainsi de suite. À travers les éducateurs, les psychologues et tout le personnel, il prend sa place au sein de la Demi-Lune et au sein de la vie tout court.
Monsieur P.
Je crois beaucoup au fait qu’il y a principalement une problématique de rencontre ; on reste des humains avant tout et sur les difficultés que rencontre mon petit garçon, j’ai besoin d’avoir une approche très personnalisée, très singulière et très adaptée à notre enfant et également à nous parents. On est parti d’avantage vers une expérience psychanalytique pour lui, qui a l’air de lui convenir, à l’opposé d’une méthode toute faite, ou une recette miracle qui lui serait appliquée. Il s’agit plutôt d’un travail qui varie en fonction des jours, des humeurs de chacun, qui s’adapte au plus près de lui, de la façon dont il évolue.
Marc Langlois
A la maison, Lucile dessine, des feuilles partout, tout le temps… et du coup je me suis mise au dessin. Elle parle, plutôt bien même mais quand nous avons des problèmes de compréhension, je prends le stylo et en commentant mes dessins, je reformule mes dires. Et ça marche. A tous les coups, c’est même magique !
Eugénie Bourdeau
Depuis quelques temps, je reçois un autre enfant autiste de quatre ans. Un jour, ce petit garçon arrive un peu fatigué. Il s’installe sur une petite chaise et se met à répéter inlassablement « Oui, oui, oui, oui, oui… » tout en se balançant et sans pouvoir se détacher de mon regard. Dans ces moments de nos rencontres, il est confronté à l’absence d’injonction lui venant d’un autre. Il s’agit là pour lui d’inventer sa présence avec un partenaire prêt à l’accueillir, faire oeuvre de création et d’existence même, à partir d’un petit rien. Je suis venue l’interpeller pour accueillir ce qui faisait là problème pour lui. « Peut-être que maintenant tu ne sais plus quoi faire de ce petit mot chantant qu’on t’a appris à répéter ? » Il a pu entendre quelque chose de cela car, par la suite, il m’a répondu de son silence et a pu passer à autre chose, se sentant peut-être autorisé à ne pas devoir toujours donner à l’Autre satisfaction. Sortir de son silence, consentir à la socialisation et à la démocratie discursive avec l’autre, ne peut être que le résultat d’avoir d’abord consenti à son être.
Mariana Alba de Luna
J’avais coutume de tenir Maman tortue sur le bord de la baignoire ; Louis tirait bien fort bébé tortue, et quand je lâchais, les deux tombaient dans le bain en faisant plouf. J’arrive donc toute heureuse : « Louis, regarde, Maman et bébé tortue ». Dans un premier mouvement il tend la main pour tirer le bébé tortue, mais il a alors une réaction inattendue, il se ravise et va chercher ma main pour que je le fasse. Il semble quêter mon approbation pour s’autoriser à utiliser sa propre main. Cette même main dans la main lui sert d’accrochage pour affronter les transitions vers des lieux inconnus, et il sait maintenant la lâcher, de sa propre initiative quand il est rassuré.
Mireille Battut
Ce n’est peut-être pas un hasard si mon fils Mahé est aujourd’hui suivi par un psychanalyste. En effet, les séances lui laissent un espace de liberté. Cela nous a permis, à nous aussi, parents, de nous remettre en question, sans que quiconque nous ordonne d’adopter un certain comportement à la maison. Cette rencontre avec la psychanalyse nous a permis de nous remettre en question mais de façon libre, par nous-même en étant responsables
Elle a favorisé cet élan de liberté que nous avions, et que nous voulions transmettre à notre fils, pour qu’il évolue lui aussi de façon libre mais encadrée, avec une boussole tout en étant lui, avec sa différence. Lorsqu’on oblige notre fils à faire quelque chose, s’il ne comprend pas pourquoi, cela n’a aucun sens pour lui, et il ne le fait pas.
Alexandra Dauplay
Aucune histoire n’est comparable ni superposable à une autre. Savoir respecter les petits détails qu’attrapent l’attention de ces enfants et, à partir de ceux-ci, les aider à construire un monde à leur mesure pour qu’ils puissent rester vivants et entrer dans le lien social, est primordial pour tout autiste.
Mariana Alba de Luna
Que ce soit dans une dimension temporelle, ou une dimension existentielle, le monde de
Théo est ouvert sur l’infini et sur l’inconnu. Pour remettre ce monde à sa portée et à des dimensions acceptables et habitables, Théo pose lui-même les frontières. Il dessine alors, à sa façon, en fonction de sa perception, les lignes qui définissent son quotidien. Ce sont des mots qu’il prononcent à certains moments, à certains endroits et qui n’ont d’importance que dans leur répétition, non dans leur sens. Ce sont des gestes qu’il associe à des actes ou des pensées : éteindre puis allumer, glisser ses doigts sur le meuble, frotter l’une contre l’autre la salière et la poivrière. Ce sont des désirs qu’il émet avec le besoin impérieux qu’on y réponde.
Valérie Gay-Corajoud
À la piscine, il y a, excitation suprême, un toboggan double qui permet de se glisser dans l’eau. Louis a choisi la partie gauche du toboggan, et c’est celle-là qu’il emprunte, exclusivement. Comment fait-t-il pour ne pas se lasser ? Ne pas se fatiguer ? Voici pourtant qu’au gré des répétitions, une variation discrète apparaît : il vient de marquer un temps infime au moment de l’élan, un pied en arrière, avant de re-glisser. Il remonte et voilà que d’un seul coup, il court sur la berge. Il fait un très grand cercle avant de revenir. Puis encore un cercle. Son cercle frôle le bord du bassin olympique profond qui est juste à côté de l’aire de jeu des enfants. Louis sait très bien ce qu’il est en train de faire. Il vient d’inventer le temporisateur. Mon intervention a consisté à ne pas intervenir et à faire taire mon angoisse. Mon intervention a consisté à lui faire confiance.
Mireille Battut
Instinctivement, je me suis mise à imiter Louis en écho, à tirer la langue, ou la faire vibrer entre mes dents en le regardant ostensiblement, mais de biais ou de travers, guettant ce qui le faisait rire, à secouer les mains, puis les approcher des siennes, comme en miroir, et ajustant en fonction de ce qui le fascinait. Je me suis mise à faire le clown de mille manières. La plus réussie est un couvre chef en forme de poule, d’ordinaire réservé aux supporters de matchs de rugby dont je me coiffe en faisant cot cot codec. Le résultat est garanti et, dès que je me baisse à sa hauteur, il plonge en gloussant ses doigts dans les plumes pour me retirer l’animal. C’est ainsi que petit à petit, j’ai appris son langage et qu’il en est venu à répondre, à donner la réplique.
Mireille Battut
Mahé a 8 ans et a toujours du mal à apprendre à lire. Je me rends compte qu’il n’y trouve pas d’intérêt, il se braque, et refuse toute lecture. À chaque fois que nous allons dans la grande librairie de Bordeaux, il n’est attiré que par les livres « inintéressants » à mes yeux. Il m’arrive toutefois de lui en acheter me disant que son goût pour la lecture pourrait venir de ces livres-là. Jusqu’à présent, ces livres, il les regardait et je m’en désintéressais. Lorsqu’il s’agissait de travailler la lecture, je reprenais avec lui son livre de classe, non sans peine. Très récemment, j’ai décidé de faire autrement : il essayerait de déchiffrer le livre de son choix, à quoi bon le contraindre à lire des histoires qui n’ont pas de sens pour lui ? Depuis ce fameux samedi, tous les jours, il lisait volontiers 2, 3, 4 pages d’une petit livre de cars choisit par lui, jusqu’à ce qu’un livre de fantôme vienne se substituer à lui.
Alexandra Dauplay
Si Louis vivait dans le film chanté « Smoking/no Smoking », il pourrait sans doute naturellement s’insérer dans la conversation. J’ai pu tester la chose : quand je chante mes paroles, il est tout de suite plus réceptif, et il reprend même la ligne mélodique, avec plaisir. Le matin, il reprend parfois en fredonnant le ‘do-do-do-sol-mi-do’ que j’adopte pour annoncer en entrant dans sa chambre que ‘-le-bi-beæronäestælà-’.
Mireille Battut