La Main à l'Oreille - Blog

Articles récents

Contact LaMàO

La Main à l’Oreille
14 impasse des Jardins
94230 Cachan

lamainaloreille@gmail.com

Nous contacter

Adhésion

Vous pouvez adhérer à l’association La Main à l’Oreille en ligne en cliquant sur le lien suivant

Adhésion en ligne

Ou en téléchargeant le bulletin d’adhésion ici, puis en nous le renvoyant par courrier

Télécharger le bulletin

Newsletter

Derniers Commentaires

L'actualité de LaMàO au fil des jours !

2020, année inclusive !

 

Par Mireille Battut

15 février 2020 

Notre société se voit si belle en son miroir qu’elle nous y veut tous inclure. Quelle invitation ! Une société inclusive serait celle qui accueille la singularité de l’autiste comme une modalité d’être au monde ? Mais pour les personnes autistes, c’est d’abord l’épreuve de l’exclusion, et ce le plus souvent depuis la maternelle car… ne joue pas avec ses camarades, s’isole, n’entre pas dans les apprentissages, met en danger son entourage...

 

Alors, tous à l’école enfin « pleinement inclusive » ! Mais, qu’en est-il de l’accès au savoir qui émancipe ? Aller à l’école quelques heures par semaine pour se voir isolé, cantonné, puis renvoyé chez soi la plupart du temps sans perspective, n’est-ce pas une trahison[1] ?

 

Il y a comme un malaise, qu’on peine à qualifier… Qui oserait annoncer à grands roulements de tambour une instruction « pleinement obligatoire » ? Car c’est l’instruction qui est obligatoire. Et ce qui est obligatoire doit être appliqué, pas être promis. Autrement dit, il ne suffit pas d’accorder quelques heures d’école, avec une aide précaire et mutualisée, sans réflexion sur les contenus pédagogiques ni sur les conditions de l’accès au savoir pour que l’obligation d’instruction soit remplie.

 

Quoi qu’il en soit la promesse est bien là – depuis l’école « pleinement inclusive » jusqu’au futur « revenu universel d’activité » pleinement fusionné – et gageons qu’elle occupera notre décennie. Il semble que la société inclusive soit la façon contemporaine de chercher à redéfinir deux choses : l’être citoyen et le vivre ensemble. 

 

Concernant la citoyenneté des personnes handicapées, il ne suffit pas de dire que nous sommes égaux en droits si les conditions effectives de l’exercice de ces droits sont impossibles. Le rapport de la mission gouvernementale « vers la pleine citoyenneté des personnes handicapées »[2] note bien que « la société inclusive ne se décrète pas » et que « l’exercice de la citoyenneté des personnes handicapées requiert une dynamisation de toutes les structures… une approche par étapes … afin que la parole du citoyen handicapé, son accès aux droits et l’exercice de ses devoirs puissent être pleinement satisfaits à tous les niveaux de la société, dans tous ses territoires ».

Concernant le vivre ensemble, aujourd’hui, les militants les plus actifs et les plus conscientisés du handicap rejoignent les militants des droits des minorités et des diversités dans une ambition de visibilité et de plein exercice de leurs droits dans la Cité. « Rien sur nous sans nous »[3], disent-ils. Cela va bien au-delà de la seule « accessibilité » telle qu’elle émane de la loi de 2005 sur le handicap.

 

Cette approche s’inscrit en rupture avec un héritage historique en France qui était celui de « l’accueil de la folie » dans des lieux qui se voulaient des utopies alternatives (Clinique de La Borde, Monoblet, Bonneuil…) et qui se sont institutionnalisées (donnant la psychothérapie institutionnelle). La société inclusive est la rencontre de la désinstitutionalisation (courant qui a commencé dans les années 70) et aujourd’hui de la fin des utopies. C’est la conséquence logique du fait qu’il n’y a plus d’Ailleurs. L’idéologie a changé. Elle fait la promotion d’un individu autoentrepreneur de lui-même veillant à faire fructifier et à gérer au mieux son capital santé, culturel, social selon les lois de la compétitivité et de la concurrence.

 

Ces aspirations individuelles sont pleinement légitimes. Pourtant, comment ne pas constater la contradiction déchirante, dans l’état actuel de notre société, avec une perspective viable pour ceux de nos enfants  – ils sont nombreux – qui ne pourront pas tenir dans la compétition (même entre handicapés) et aussi ceux pour qui entrer dans cette société de compétition qui est la nôtre ne fait pas sens ou bien est une grande souffrance. Il y a, pour ceux qui la refusent, une forme d’injonction terrifiante à désirer la société normale.

 

Pendant ce temps, un capitalisme de plus en plus débridé fait basculer plus de gens dans la maladie ou le handicap psychiques en raison de la maltraitance qui leur est infligée au travail ou hors du travail et – à défaut d’institution accueillante – une part croissante des personnes socialement et/ou psychiquement précaires se retrouvera à la rue ou dans les prisons. Ainsi, au regard des conditions de plus en plus difficiles d’accès au logement, au travail, à la citoyenneté, l’extension du domaine du handicap apparait comme un symptôme du malaise général de notre civilisation. C’est pourquoi la protestation contre leur exclusion et leur relégation devient centrale. Il s’agit effectivement d’interroger notre condition commune pour vivre ensemble, mais loin des slogans « pleinement inclusif ».

 

Alors, comment y aller ?

 

Depuis sa fondation, La main à l’oreille a été attentive à promouvoir et faire respecter la singularité.  Nous avons toujours considéré que l’éducation visait l’autodétermination de la personne et non sa normalisation. Si les méthodes comportementales visent l’acquisition d’une certaine autonomie : s’habiller, manger proprement, prendre soin de soi etc., nul ne peut ignorer les critiques – autoritarisme, déni de la subjectivité – qui leur sont adressées par les autistes qui y ont été soumis. Quant aux démarches plus volontaires d’acquisition d’habiletés « sociales », elles sont fort utiles mais il ne nous paraît pas suffisant de se contenter d’une normalisation qui permettrait à la personne de fondre son « handicap invisible » dans le paysage social.

 

La question de la construction du pouvoir d’autodétermination reste ouverte. L’autodétermination est la capacité d’exercer des choix, de les exprimer et de les faire respecter. Elle est essentielle pour les personnes handicapées qui sont trop souvent soumises à des ordres autoritaires. Pour nos enfants, elle doit mobiliser parents, enseignants, soignants, quel que soit le lieu d’accueil. Elle consiste, quelle que soit l’orientation éducative et pédagogique, à viser l’expression du choix par l’enfant et, dans un effort constant et volontaire, à lui reconnaître le droit de dire « non ». Si l’adulte dit à l’enfant « tu peux choisir », l’enfant pourra dire « je peux choisir ».

 

Pour autant, qu’auront-ils à choisir, une fois adultes ? Et dans quelle société ? Dans le contexte de la société inclusive, notre effort doit tendre plus avant que le singulier. Ce singulier, il nous faut le conjuguer. Dois-je avouer que j’ai passé des nuits à tourner et retourner cela dans ma tête sans trouver d’issue à ce qui m’apparaissait comme une impasse.

Comme souvent, c’est une proposition inattendue qui m’a apporté un début de réponse. Au forum des associations, nous avons été contactés par le club de rugby qui voulait constituer une section de rugby adapté. Quel a été mon ravissement de découvrir la devise du club : « notre rugby se conjugue à la première personne du pluriel ! ».

 

Il est intéressant de voir comment ce pluriel se construit, dans le rugby, par l’engagement corporel. Au début, chaque enfant a sa façon de prendre contact : intimidé, nerveux, ou bien hilare (ce qui peut cacher bien des choses difficiles à exprimer). Les encadrants, attentifs mais pas trop directifs, ont à cœur de les mettre à l’aise. Petite foulée, premiers échanges, hésitants, puis des engagements un peu plus francs, des encouragements.  Et tout le monde a droit aux cookies maison à la troisième mi-temps.

Au bout de deux entraînements, le jeu, pour mon fils, consistait à gambader sur un beau terrain vert bordé par le ciel, à se plaquer au sol pour recevoir plein de guili guili, à s’échapper en oubliant le ballon. Et le but principal, pour ce qui l’en intéressait, c’était de déposer des plots en carré pour border le terrain et ensuite de pouvoir les ramasser à la fin de l’entrainement.

Aujourd’hui, Louis passe le ballon à ses camarades, joue avec eux à « crabe – langouste », prend plaisir à l’engagement. Il a participé à son premier tournoi. Les entraîneurs ont installé un rite à la fin de la séance : on se regroupe, on met ses mains ensemble, paume tendue vers le sol et on s’écrie en cœur « Chanka » !  (C’est le nom du hérisson mascotte du club).

Cette naissance d’un collectif m’a remis en mémoire une définition de l’émancipation lue chez Laurence de Cock, historienne pédagogue,  comme « un processus d’accompagnement visant à déjouer les mécanismes de domination, à acquérir une autonomie de pensée, critique, et surtout habitée par la nécessité du collectif et pas un pauvre petit projet de « libre entreprise de soi » au service de l’idéologie entrepreneuriale[4] ». Cela me va bien !

 

Alors, je n’hésite pas à le dire, nous avons un projet. Notre projet n’est pas une pauvre autonomie normative mais une émancipation.

 

L’émancipation, ce sont les jeunes du Papotin, de Turbulences, d’Astéréotypie, des Harrys, de Sonic Protest, de Singulières résonances, ce sont Enzo, Théo, Lucile, Joël,  (et j’en oublie), qui en témoignent. L’émancipation concerne chacun de nos enfants, au singulier pluriel. 

 

Mireille Battut

 

 

Pour les rencontrer

Le papotin  - TurbulencesAstéréotypie - Les HarrysSonic ProtestLe Monde au singulier

Enzo SchottThéo FacheLucile Notin BourdeauJoël -

 

[1] Lire « le miroir et les alouettes », lettre ouverte d’Aurore Cahon 

[2]https://handicap.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_mission_gouvernementale_pleine_citoyennete_personnes_handicapees_michels_radian_19_juin_2019_vf2.pdf 

[3] Telle est la devise de CLE Autistes, association de self advocacy française

[4]Entretien avec Laurence de Cock   

Article précédent  

Reportage : Amour hors normes

Article suivant      

Festival : Pratique brute de la musique

Partager cette page